Fiche de lecture Michel Strogoff

Hallucinant de faire une fiche de lecture à plus de 10.000 verstes de chez moi, dans une yourte au milieu de chez des gens, avec sous le même toit trois catégories de population: la vieille mère et son fils qui dînent une heure après nous alors qu’il vient juste d’avoir terminé de castrer la bande des poulains qui n’ont pas été retenus comme des futurs mâles dominant! Les touristes qui, après avoir parlé tout leur saoul de s’être retrouvé, se préparent un coucher difficile et les guides, guilde à part qui assure la liaison entre les deux premières catégories dont il y aurait en soi déjà tant à dire. Mais je m’y suis mis, un peu à l’écart sur ma couche, au milieu tout de même des conversations en langues mongoles et anglaises, des mugissements, des crépitements de la bouse séchée qui nous réchauffe et des chants de l’eau qui frémit sur le poêle.

C’est le contexte que je dirai plus que le livre mais nous l’avons lu dans des conditions telles, tous les trois, à voix haute, que les aventures de Michel Strogoff et Nadia Fédor en arrivent à se confondre presque totalement. En réalité cette fiche de lecture-là est pour moi ni plus ni moins que l’occasion rêvée de relater le début de notre périple autour du monde. Ce n’est cependant que la deuxième étape. La première nous l’avons vécu en compagnie d’Isabelle et Pierre sur les routes d’Europe. Nous sommes en passe d’attaquer le quatrième ou le cinquième chapitre de notre propre livre du voyage, à Pékin. Le ou les précédents sont le Baïkal et, à l’instant, les steppes mongoles.

Exactement comme nous, Michel est parti pour un grand voyage, un été, qui devait le conduire de Moscou à Irkoutsk le long du transsibérien. C’est sur le premier tronçon de cette épopée, effectué comme nous en train, jusqu’à Nijli-Novgorod, qu’il rencontra Nadia, la jeune livonienne de Riga où nous avons nous-même fait une escale des plus heureuses entre Pologne et Russie, quelques jours plus tôt. D’autres que nous, tels Michel et Nadia, ont choisi de faire escale à Nijli-Novgorod. Mais eux n’avaient vraiment pas le choix puisqu’au début du 19 ème siècle la ligne de chemin de fer s’arrêtait là. Sarah, Marie et moi bénéficions de ce progrès. Ainsi, dans nos histoires comparées, seul l’époque change, dirait-on. Matthieu et Sophie, qui voyagent en qualité de frère et soeur comme des Michel et Nadia contemporains, avec deux cadenas gros comme le poing, qu’ils ont peint en rose, ont testé cet arrêt qui ne vaut pas les trois jours qu’ils y ont consacré, à ce qu’ils disent!

Ainsi, nous avons fait le choix de ne pas faire d’escale de toute la traversée. C’est Michel qui les fait pour nous!

Notre lecture commune commence dans les lits superposés de l’auberge de jeunesse de Moscou au retour de nos longues journées après les visites du Kremlin et du parc VDNH. La mise en route de l’intrigue est toujours un peu fastidieuse chez Jules et je crains de perdre mon public dès les premières pages du livre. Cela dit nous sommes parfaitement synchrones avec l’intrigue puisqu’elle se déroule dans un palais moscovite tandisque nous nous ennuyons ferme au musée Pouchkine. Le récit s’active avec les premiers tours de roues du train une fois que nous sommes confortablement installés avec toutes nos inquiétudes liées à l’organisation du voyage momentanément derrière nous pour au moins 4 nuits et 5 jours. Pour ma part je comptais vraiment profiter de ce temps libre inouï pour avancer grandement dans le récit. Mais l’excitation du début du trajet, où tout est à découvrir, et le contre-coup qui s’en suit après la première nuit très difficile vécue dans leur compartiment par mes princesses, ont eu raison de mes ambitions. Le récit progresse plus lentement que notre convoi car Michel connaît quelques difficultés sur son chemin de croix.

Nous avons tout de même quelques bons moments de lecture et de complicité notamment en nous moquant de deux personnages qui servent de fil rouge au roman: les journalistes Alcide Jolivet et Harry Blount.

J’ai peu dormi cette première nuit mais tout va bien quand même. Au réveil j’ai seulement le regret d’avoir manqué l’Oural. La lecture du livre me permettra de combler cette lacune… Je traverse Ekaterinbourg de nuit. C’est là que Michel doit la pire des épreuves qui aura à affronter. Pour préserver son anonymat il doit se résoudre à accepter une humiliation que lui inflige son plus cruel ennemi. Le traitre Ivan Ogareff… De jour nous traversons des villes dont nous devinons le nom inscrit en cyrillique sur le frontispice de la gare. Le relevé des horaires de passage du train qui s’affiche dans les deux alphabets dans le couloir du wagon est également un excellent indicateur une fois que nous avons compris son fonctionnement. Nous n’avons en revanche aucune indication pour les fleuves que nous traversons. Avec quelques heures de retard c’est le livre qui nous fournit ces informations. Et nous apprenons au détour des pages que tel ou tel fleuve traverse telle et telle ville. J’appelle cela de la geo poésie! Ainsi de l’Ienisseï à Krasnoiarsk! Le livre nous sert ainsi de véritable guide de voyage. Nous confrontons avec l’auteur les paysages qui défilent sous nos yeux avec ceux qu’il décrit. Ses descriptions s’accompagnent en plus de toute une série d’explications ethnographiques, politiques et historiques que ne fournissent ni les autres voyageurs, presque exclusivement russes, ni la podarishta qui s’occupe de notre wagon, tout juste bonne à distribuer les tasses aux armes de la compagnie à notre arrivée, si on la lui réclame!

Les noms des villes traversées par le transsibérien sont formidables. Ils suffisent à faire voyager… Nous ne manquons aucun des grands jalons qui marquent les aventures de Michel. Perm, Ekaterinbourg, Tioumen, Omsk, Tobolsk. A Omsk Michel et Nadia se séparent. A Tomsk ils se retrouvent. A Tioumen Michel perd la vue.

Il reste encore bien des verstes à Michel à parcourir et bien des adversités à affronter quand nous arrivons à Irkoutsk. Nous avons eu notre part de difficultés. Notre programme prévoit du repos, à Irkoutsk même, tout d’abord, puis sur l’île d’Okhlon. Mais nous devons faire face à une dernière épreuve. Celle qui consiste à récupérer les clés de notre location alors que nous n’avons pas complètement confirmé notre venue!

Les 5 nuits et donc 5 veillées chez Nikita, à Khujir, sont autant d’occasions données à Michel de nous rattraper. Lord de la première soirée coups de poings de nos voisins contre la cloison en bois de nos chambres. Nous baissons d’un ton.

A Olkhon un soir Sarah est sur le point d’abandonner. Elle ne croit plus en rien. Mais nous même n’avons pas le wifi qui est payant pour la première fois du voyage. Cette circonstance a sans doute sauvé le recit. La dernière phrase du chapitre IX de la deuxième partie: « c’est le Baikal », nous rassure. Nous restons totalement en phase avec Jules. Voilà que Michel fait un crochet pour passer au Baikal, semblablement au crochet que nous-même faisons sur la route de Pékin. Michel remonte donc le lac au moment où nous le quittons. Lui en bateau et nous en mini-bus. Il a poussé l’élégance jusqu’à nous accompagner jusqu’au Baikal. Entrée triomphale pour les deux groupes enfin réunis. Le livre et le lac nous accompagnent encore longtemps dans le train jusqu’à ce que l’un et l’autre se terminent. Le lac infini vient dérouler ses côtes Sud mais nous avons bifurqué plein Sud pour rejoindre Oulan-Ude. Le roman se termine à toute vitesse. Retrouveronts-nous un tel livre pour nous accompagner sur le reste du trajet? Sait-on jamais? Notre bibliothèque numérique contient quantité d’autres romans de Verne. Encore faudra-t-il choisir le bon!

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PROCHAINEMENT LES FICHES DE LECTURE DE SARAH SUR:

– Michel Strogoff

– Charlie et la chocolaterie